
L’un des projets en cours et majeurs du Bureau de sauvegarde de la langue persane est la lecture analytique de l’Histoire de Bayhaqi, un texte justement qualifié de « supertexte de la langue persane ».
Rédigée par Abolfazl Bayhaqi, cette œuvre constitue non seulement une source précieuse sur l’histoire du Ve siècle de l’hégire, mais aussi un modèle exceptionnel de prose persane. Après le Shâhnâmeh (Livre des Rois), elle s’impose comme l’un des textes les plus remarquables du style khorassanais, et se distingue par ses qualités narratives, son ton vivant et sa beauté structurelle, ce qui en fait un joyau rare de la prose persane.
L’approche du Bureau de sauvegarde de la langue persane est thématique : le choix des textes ne repose pas sur des préférences personnelles ou littéraires, mais sur les besoins culturels de la société. Face aux crises d’identité ou linguistiques, le Bureau met l’accent sur l’utilisation de textes qui illustrent la langue persane dans son apogée : des textes porteurs à la fois de forme, de récit et de sens. C’est dans cette optique que les séances de lecture de Bayhaqi, animées par le Dr Tavakkoli, sont organisées avec la participation d’un public varié composé d’étudiants, de passionnés et même de spécialistes de disciplines diverses. Ces cours sont gratuits, ouverts à tous et sans prérequis. L’objectif est de permettre à tout un chacun, indépendamment de son niveau d’études ou de spécialisation, de renouer avec le persan ancien et raffiné.
Un aspect marquant de ces séances est l’approche multi-niveaux du texte : Bayhaqi n’est pas seulement lu, il est analysé. Le professeur, phrase après phrase, met en lumière des aspects grammaticaux, esthétiques, structurels et identitaires de la langue persane. Parfois, une session entière est consacrée à l’analyse d’un seul paragraphe, tant chaque passage de Bayhaqi regorge de subtilités linguistiques.
Mais pourquoi se tourner vers les textes anciens ? Pourquoi l’Histoire de Bayhaqi et non la poésie moderne ou la prose postmoderne ? La réponse tient en ceci : sans une compréhension profonde de ses racines, la langue contemporaine devient fragmentée et vide. À une époque où l’écriture en persan, notamment sur les réseaux sociaux, se réduit souvent à de simples messages instantanés, et où les néologismes étrangers se multiplient, revenir aux textes anciens permet de renouer avec les fondations linguistiques – un exercice qui sauve non seulement la langue, mais aussi notre identité.
L’Histoire de Bayhaqi, avec sa prose concise et limpide, a cette capacité d’attirer à la fois le lecteur novice et le lecteur chevronné. C’est peut-être pour cette raison qu’Ahmad Chamlou a évoqué l’influence de ce livre sur sa propre langue poétique. La structure syntaxique de Bayhaqi est si proche de la poésie libre que certains de ses paragraphes, une fois disposés en vers, prennent l’apparence de poèmes rythmés et signifiants.
Par cette démarche, le Bureau de sauvegarde de la langue persane accomplit un pas important pour préserver la langue et la culture iraniennes. Ce qui se joue dans ces séances dépasse une simple lecture historique ou littéraire : c’est une forme de résistance face à l’oubli.