
La poétesse iranienne Parvin E’tesami est célèbre pour ses poèmes intitulés Monâzéréh en persan, un genre littéraire fondé sur le dialogue, une forme de débat ou de question-réponse. Ces dialogues ne se déroulent pas uniquement entre des êtres humains, mais également entre des animaux, et même entre des objets inanimés, comme une aiguille et un fil.
Le poème l’Ivre et le Conscient est l’un de ses discussions les plus célèbres. Il met en scène deux personnages : un gardien et un homme ivre. Le lecteur peut y percevoir que l’homme ivre a parfois plus de sagesse que le gardien, malgré son état d’ébriété.
Parvin, à travers un langage vif et incisif, critique l’ignorance des gouvernements et des figures d’autorité dans la société. Tout au long du poème, le lecteur est frappé par la lucidité de l’homme ivre, notamment lorsqu’il déclare :
« Dans ce monde-ci, trouvez un peu de sagesse,
puisqu’il n’y en a pas. »
voici le poème :
« Le gardien a vu un homme ivre sur le chemin et l’a saisi par le cou.
L’ivre dit : « C’est une chemise, pas une rêne. »
Le gardien dit : « Tu es ivre, c’est pourquoi tu chancelles. »
L’ivre répondit : « Ce n’est pas ma faute si le chemin n’est pas lisse. »
Le gardien dit : « Je dois te conduire chez le juge. »
L’ivre répondit : « Viens demain matin, le juge dort à minuit. »
Le gardien dit : « La maison du gouverneur est proche, allons-y. »
L’ivre répondit : « Le gouverneur est peut-être à la taverne. »
Le gardien dit : « Allons voir l’agent à la mosquée. »
L’ivre répondit : « La mosquée n’est pas un refuge pour ce genre d’hommes. »
Le gardien dit : « Donne de l’argent et débarrasse-toi de moi. »
L’ivre répondit : « La religion ne s’achète pas avec des pièces. »
Le gardien dit : « Alors, je vais prendre ta chemise en guise de compensation. »
L’ivre répondit : « Elle est toute flétrie, il n’en reste que les fils de trame et de chaîne. »
Le gardien dit : « Ignorant que tu es, ton chapeau est tombé de ta tête. » (l’expression désigne la perte de la dignité)
L’ivre répondit : « Mieux vaut avoir de la sagesse dans la tête ; un chapeau tombé, ce n’est rien. »
Le gardien dit : « Tu as tant bu que tu es enivré. »
L’ivre répondit : « Ce n’est pas une question de quantité, ô bavard. »
Le gardien dit : « Les gens conscients doivent punir les ivrognes. »
L’ivre répondit : « Trouve d’abord des gens conscients, car il n’y en a point ici-bas. »