
Les transformations majeures du système international témoignent d’un déplacement progressif du centre de gravité du pouvoir vers l’Est. L’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), regroupant plus de 40% de la population mondiale et environ 30% du PIB mondial, représente un symbole clé de ce basculement. Initialement fondée au début des années 2000 pour régler des différends frontaliers et lutter contre les menaces sécuritaires (terrorisme, extrémisme, sécession), l’OCS est devenue un cadre politique et économique global, reflétant les intérêts et les aspirations des pays asiatiques.
L’OCS participe à la redéfinition des règles du jeu international en promouvant le multilatéralisme et en remettant en cause l’hégémonie occidentale incarnée par le dollar, le FMI ou l’OTAN. La récente réunion à Tianjin, en Chine, illustre le renforcement du rôle des pays de l’Est dans la configuration d’un ordre multipolaire. La présence simultanée de la Chine, de la Russie, de l’Inde et de l’Iran traduit un mélange de convergences stratégiques et de rivalités internes nourrissant la dynamique de ce nouvel équilibre.
La Chine, moteur économique et politique de l’OCS, utilise cet espace pour étendre son initiative « La Ceinture et la Route » reliant infrastructures en Asie, Europe et Afrique. Pékin promeut aussi l’usage des monnaies locales dans le commerce intra-asiatique, contestant la domination du dollar. La démonstration de technologies avancées lors du sommet met en lumière son ambition de puissance technologique mondiale.
La Russie, confrontée aux sanctions occidentales liées au conflit ukrainien, voit dans l’OCS un levier diplomatique et économique crucial pour renforcer son influence en Asie centrale et maintenir un contrepoids face à la Chine. Moscou cherche à équilibrer cette relation en mettant l’accent sur la coopération en matière de sécurité et d’énergie, tout en consolidant ses liens stratégiques avec l’Inde et l’Iran.
L’Inde adopte une posture nuancée, combinant sa coopération avec l’OCS à ses alliances avec l’Occident, notamment via le QUAD. Refusant de signer la déclaration commune lors d’un récent sommet, New Delhi réclame une reconnaissance claire de son combat contre le terrorisme, illustrant sa volonté d’indépendance stratégique. Sur le plan économique, elle mise sur le développement des corridors commerciaux régionaux pour équilibrer ses relations.
L’Iran, membre récent à part entière de l’OCS, saisit cette plateforme pour alléger son isolement dû aux sanctions américaines et renforcer sa coopération économique, sécuritaire et diplomatique avec les puissances asiatiques. Son rôle dans le corridor nord-sud et ses alliances avec la Chine et la Russie illustrent cette stratégie « tournée vers l’Est ». Après le récent conflit avec Israël, l’Iran a consolidé son positionnement régional via ce regroupement multilatéral.
Néanmoins, l’OCS fait face à plusieurs défis : disparités d’intérêts, rivalités internes (notamment sino-indiennes), absence d’un cadre économique unifié comparable à l’UE ou au BRICS, et la pression des puissances occidentales sur ses membres. De plus, ses multiples priorités peuvent diluer sa capacité d’action cohérente.
Malgré ces contraintes, l’OCS est une expérimentation majeure d’un ordre mondial multipolaire, contribuant à réduire la domination occidentale et à favoriser les coopérations intercontinentales. Le sommet de Tianjin a montré que l’Est prend de plus en plus en main la définition des règles internationales, porteur d’un nouvel équilibre des pouvoirs.